Interview




Illustration de l'article « Annaïck Domergue, accompagnatrice artistique ». © Colunia en résidence / Adeline Moreau.© Colunia en résidence / Adeline Moreau

Life report: Octobre 2017- Par Céline Arnoult pour Trempolino.

La fac d’arts plastiques à Rennes pour une licence d’audiovisuel, des cours de théâtre amateur en parallèle, un premier boulot au Musée des Beaux-Arts comme documentaliste, Annaïck Domergue quittera Nantes pour Bruxelles, y donnera des cours de dessin, partagera un bout de sa vie avec un comédien, tout en poursuivant les cours de théâtre en amateur, et découvrira cette « liberté artistique » des Belges. Faisant rapidement le constat que c’est vers le théâtre qu’elle veut aller, elle passe un concours pour intégrer une formation BETEP théâtre. Hasard des choses, la session de formation se déroule à Nantes. Annaïck revient donc en terre ligérienne pour six mois intenses et extrêmement formateurs, et, en 1999, elle décroche un premier poste comme prof de théâtre. Au fil des rencontres, Annaïck va intégrer différentes pièces, profite au maximum de ses droits AFDAS et se forme, ressentant le besoin d’étoffer ses connaissances et ses techniques (technique du burlesque, du clown, stage de danse). Cette même année 1999, elle va monter Rachel mademoizelle, sa propre compagnie.
« Je me sens de plus en plus à ma place dans ce travail, j’adore ce travail non pas de coach mais d’accompagnatrice artistique »
« Au fur et à mesure du temps, je deviens comédienne, metteur en scène et intervenante théâtre avec un apport particulier puisque j’ai fait arts plastiques et audiovisuel, et suivi des cours de danse. J’ai ces petits atouts que n’ont pas les gens qui ont suivi le cursus classique du Conservatoire, et je me rends compte que ça m’aide beaucoup dans ce que je développe. Je pense beaucoup à la scénographie, je me concentre beaucoup sur le corps, l’espace, le côté plastique de la lumière aussi. »
Les années passent, les rencontres et les projets la mènent à intervenir en prison, en hôpital psy, des milieux « où le corps est en souffrance, recroquevillé, et où les cours prennent encore plus de sens dans l’idée d’ouvrir ce corps justement ». Énième rencontre mais rencontre déterminante, celle avec l’artiste Ana Igluka, une collaboration sur un premier projet, Res Publica, puis sur un deuxième dans le cadre du dispositif Artiste en Scène (actuel programme 360) pour son groupe de musique Resistenz en 2007. « C’est bien là que tout commence avec Trempo et ce nouveau domaine pour moi qu’est la musique. La résidence avec Resistenz à la salle Paul-Fort se passe très bien, on me redemande pour un autre groupe, le travail se passe à nouveau  très bien. De fil en aiguille,  je me sens de plus en plus à ma place dans ce travail, j’adore ce travail non pas de coach mais d’accompagnatrice artistique ».
« Ce qui m’importe, c’est d’accompagner les groupes vers de la simplicité, de l’émotionnel, sur leur corps, qu’ils se détachent un peu de leur cerveau »
Avouant ne pas avoir été toujours très tranquille au début, elle se laisse un peu porter par son instinct, regarde et écoute. « Je sens que je construis ma méthode, au fur et à mesure, nourrie de théâtre, de techniques du yoga, de la technique Alexander, une méthode avec le corps comme élément central. » Nourrie de musique aussi, elle écoute énormément Steve Reich ou encore Tom Waits. Elle va étoffer ses connaissances musicales par « intimité » comme elle dit, partageant la vie d’un mélomane et programmateur de radio. « Mon oreille s’est affinée avec mon compagnon, et bien sûr j’utilise aussi ces références dans mon travail avec les musiciens. Je ne suis pas musicienne, je n’ai pas un regard technique sur la musique, mais j’ai quand même un avis, un ressenti ». Depuis 2007, Annaick Domergue a pu travailler avec environ 25 groupes de l’écosystème Trempo dans des styles très différents. Et si on la questionne sur le fait que ces styles pourraient être influents sur sa façon de travailler, elle rétorque : « tout est bon, tout est matière, je n’ai aucun jugement critique sur la musique en tant que telle. Je me concentre sur le travail, je m’étonne moi-même. Ce qui m’importe, c’est d’accompagner les groupes vers de la simplicité, de l’émotionnel, sur leur corps, qu’ils se détachent un peu de leur cerveau. J’essaie de leur donner confiance ». Elle qui connait bien le champ du théâtre considère que le musicien est plus à l’écoute, plus ouvert, souvent plus que le comédien, il théorise moins. « J’ai malgré tout fait parfois un peu de gestion de conflit. Je discerne très vite les couacs dans leur rapport entre eux dès lors qu’ils ont fait un set, car on démarre toujours par cela. Je regarde tout, le positionnement, les postures, les regards, je suis dans une écoute totale, et je sais assez vite ce sur quoi on va travailler ». « Les artistes doivent être conscients qu’ils font naître un imaginaire, un fantasme chez l’auditeur »

Se nourrissant aussi de spectacles vivants qu’elle va voir, dont les concerts, Annaïck considère qu’elle peut ainsi apporter des références dans les postures, les mouvements ou les gestuelles. « J’aime toujours les mouvements, et chez des musiciens chanteurs comme Dominique A par exemple, je trouve que c’est assumé, fin et esthétique. Je parviens à faire comprendre ces mouvements comme esthétisants en citant ce genre d’exemples. Sur la prise de parole, je parle parfois de Natacha Atlas que j’avais trouvée très sensuelle sur scène mais qui avait demandé au public « ça va, vous passez une bonne soirée ? », le mythe était alors un peu tombé, les perceptions très sensuelles que j’avais d’elle étaient réduites à néant. Les artistes doivent être conscients qu’ils font naître un imaginaire, un fantasme chez l’auditeur et que cela peut être cassé par deux ou trois phrases mal senties. On travaille souvent cette prise de parole, sur l’intention, sur le côté « personnage » aussi que certains musiciens veulent se donner, tout cela reste de la mise en scène ».
Contrairement à bon nombre d’intervenants, Annaïck refuse de connaître la moindre chose sur le groupe. « Je viens sans à priori, je découvre le groupe sur place, je ne regarde les vidéos ou les sons des groupes qu’après la première journée de travail ».  24 fois sur 25, Annaïck considère qu’il s’est passé quelque chose de fort, il y a eu connexion. À quoi tient cette connexion ? « Cela tient du fait que les musiciens sont toujours ultra contents d’être dans une belle salle pour travailler, d’avoir quelqu’un pour eux, ils mesurent la chance qu’ils ont, tout en restant néanmoins un peu méfiants. Mais ça marche parce que je me fonds dans leur projet, dans leur univers, je considère ce qu’ils font sans penser à d’autres projets, je prends leur projet comme étant unique, et ils sont contents de ça.« 

Chaque artiste doit intégrer qu’il faut de l’ouverture sur les autres et du centrage sur soi »
Quant à sa propre posture physique, Annaïck avoue qu’elle est « toujours debout, devant la scène, au milieu, à droite, à gauche, considère beaucoup les angles de vision. Je suis parfois un peu sur scène, je les touche, je les déplace un peu, toujours avec un carnet dans la main, un crayon dans l’autre, je prend des notes. Je recherche avant tout le confort pour eux, qu’ils soient à l’aise. On travaille aussi la respiration, l’avant-concert et ce truc collectif qu’ils doivent avoir 5 minutes au moins avant de monter sur scène. Certains auront besoin de calme avant, certains font des sauts pour se mettre déjà dans un rythme. J’essaie vraiment de les identifier individuellement pour voir de quoi ils ont besoin avant de monter sur scène. Chaque artiste doit intégrer qu’il faut de l’ouverture sur les autres et du centrage sur soi ».
Annaïck Domergue intervient aussi sur la formation
 « Le travail d’interprétation scénique » en compagnie du chorégraphe David Rolland à Trempolino(Nantes)

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